A bord du « Marrakech Express », les Marocains rentrent au pays
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A bord du « Marrakech Express », les Marocains rentrent au pays
Scènes de la vie quotidienne entre Sète et Tanger
A bord du « Marrakech Express », les Marocains rentrent au pays
Tous les ans, des centaines de milliers de familles d’immigrés marocains rentrent pour l’été « au pays ». Nombreuses sont celles qui empruntent, pour ce faire, la voie maritime via la ligne Sète-Tanger.
C’est l’occasion, pour ces dernières, d’employer les trente-six heures de la traversée à interroger leur mektoub (destin). Toujours bondés, les bateaux permettent de dessiner un paysage de l’immigration composé de touches d’une grande diversité, loin de toute image généralisante d’une prétendue « communauté maghrébine ».
Par Aurel et Pierre Daum
Les essieux grincent, les pots d’échappement raclent le sol, et de nombreuses galeries croulent sous un amas d’objets recouverts de bâches bleues ou vertes. Que cachent-elles ainsi ? « Des frigidaires, des vélos, des machines à laver, des échelles, des brouettes, plein
d’ustensiles achetés aux puces que les Français jettent dès qu’ils ne marchent plus, mais que nous, nous n’hésitons pas à réparer », s’amuse Samia, une jeune économiste d’Agadir, de retour d’un voyage de noces en France. « Pour nous, les Marocains du Maroc, poursuit son mari, c’est toujours prestigieux d’avoir un parent qui travaille en France.
Quand il arrive avec sa voiture chargée devant notre maison, au village, c’est la fierté vis-à-vis des voisins. »
Mercredi 4 juillet, jour de grands départs. Depuis l’aube, voitures et fourgonnettes se sont sagement alignées sur le vaste parking du port de Sète. Dotées de plaques d’immatriculation françaises, principalement, mais aussi belges, néerlandaises, italiennes ou allemandes, toutes sont lourdement chargées. A 18 h 45, la dernière fourgonnette a réussi à pénétrer dans le ventre du ferry, les épaisses cordes sont détachées des bittes d’amarrage, les hélices soulèvent une vase marron des profondeurs du petit port. Avec seulement trois quarts d’heure de retard, le Marrakech Express démarre enfin.
La traversée devrait durer trente-six heures : on part le soir, on passe une journée complète en mer, puis une seconde nuit. L’arrivée à Tanger a lieu le surlendemain, au matin. A bord, les horloges marquent 17 h 45. Une heure étrange (il est 16 h 45 à Tanger, 18 h 45 en France). Une heure de l’entre-deux, heure d’un espace incertain entre l’Europe et l’Afrique. Sur les ponts, les enfants courent, excités par la découverte du bateau et de ses multiples cachettes. Pour la traversée du 4 juillet, le Marrakech Express est absolument bondé. Dès la fin mars, il n’était plus possible de trouver une seule place pour cette date. Pas plus que pour les suivantes du mois de juillet. En août, c’est dans l’autre sens que les places deviennent introuvables.
A peine ses bagages posés dans sa cabine, Naïma est venue s’asseoir dans le « Médina », un des deux salons dont dispose le bateau. La mer est calme, une brise vient enfin rafraîchir l’air de cette chaude journée. D’un œil distrait, la jeune femme regarde une
émission du type « Nouvelle star » diffusée par la chaîne de télévision marocaine 2 M, captée par satellite. Les présentateurs y parlent indifféremment français et arabe. Tout comme les jeunes chanteurs, avec l’anglais en plus. « C’est bien qu’ils parlent aussi français, parce que je ne comprends quasiment pas l’arabe, confie cette Versaillaise de 32 ans, née en France de parents marocains. Comme tous les étés depuis trente-deux ans on rentre chez nous, avec ma famille. » Chez qui ? « Ben... chez nous, au Maroc. Chez moi, c’est les deux. Je suis 50-50. Française et Marocaine. Je suis bien adaptée en France, contrairement à ce qu’on peut entendre. En fait, je suis Berbère d’origine. Mais, pour moi, je suis Arabe. Quand on dit Arabe, ça regroupe tous les pays orientaux. »
Connaît-elle la différence entre Arabes et Berbères ? « Non, franchement, je ne me suis jamais posé la question. » Un homme s’approche, un chaleureux sourire glissé derrière des moustaches grises soigneusement taillées. C’est le père de Naïma. Originaire de
Beni Mellal, il est arrivé en France en 1966. Ouvrier dans des usines chimiques, puis de peinture, il travaille aujourd’hui à Dijon, dans la production de la moutarde Maille. Il explique à sa fille : « Les vrais habitants du Maroc sont les Berbères, répartis en trois
catégories : ceux du Sous, ceux du Rif et ceux de l’Atlas. Les Arabes sont venus après. » Les raisons de son émigration ? « En 1956, lorsque les Français ont quitté le Maroc, le pays était à zéro : pas de cadres, pas d’industrie, pas de routes... Chez moi, nous étions cinq enfants, et mes parents n’avaient pas les moyens. Notre père nous a dit : “la porte est ouverte.” Et, en France, le travail ne manquait pas... »
Naïma a voté François Bayrou au premier tour et Ségolène Royal au second. « Mais
je suis contente que Sarkozy soit président ! Par exemple, sur les récidivistes : qu’ils soient majeurs ou mineurs, ils écopent pareil.
C’est bien, ça ! » Son père n’a jamais fait de demande de naturalisation. « Je suis bien comme ça : je travaille, je paie mes impôts, je suis vice-président d’une association. Mais je ne vote pas. Par contre, j’ai poussé mes enfants à s’investir. J’ai même une fille conseillère municipale ! » Naïma, elle, est fonctionnaire de police. Un de ses frères est cadre chez Orange, un autre éducateur sportif, une sœur est infirmière... « On a tous eu une bonne éducation. Faut arrêter les amalgames : les drogués, les délinquants,
les voitures brûlées... Tout ça, c’est un problème de parents ! »
Son père n’est pas tout à fait d’accord : « Il y a aussi un problème du côté de la loi. J’ai un ami qui a tapé sur sa fille de 14 ans parce qu’elle avait volé 30 francs. Arrivé à la maison, il a dégrafé son ceinturon et lui a mis une bonne raclée. Et qu’a fait la justice ? Elle lui a flanqué dix-huit mois de prison ! Comment voulez-vous que les pères tiennent leurs enfants s’ils se font condamner quand ils les punissent ? »
Le soir tombe sur l’horizon. A 19 h 30 (heure du bateau), une voix féminine invite les passagers de la classe « confort » à se rendre dans la salle du restaurant. Les passagers sont divisés en deux catégories distinctes : ceux de la classe « confort » et ceux de la
classe « tourisme ». Les premiers logent dans des cabines avec hublot, pour deux ou quatre personnes, et vont dîner dans le restaurant, avec serveurs et nappes de coton. Les seconds dorment dans des cabines de quatre sans hublot, ou pire, dans la salle « Pullman », sur des fauteuils inclinés. Pour les repas, ils doivent se contenter de la cafétéria, avec ses plateaux légèrement graisseux. Quelle que soit la cabine, hommes et femmes sont toujours séparés, sauf si la famille a payé pour les quatre lits.
Stéphane, sa femme Chadia et leur fils Enzo ont été placés par le chef de salle à la table 27. Elle, grande Marocaine au visage timide malgré des cheveux blonds décolorés et un tee-shirt extrêmement échancré, mange très peu. Stéphane, jeune pompier de la Côte d’Azur, explique qu’ils viennent au Maroc tous les ans depuis les dix années qu’ils sont mariés. « C’est un véritable plaisir. » Il chuchote : « Vous savez, les Arabes du Maroc n’ont rien à voir avec les Arabes des banlieues. Ils sont respectueux. » On parle politique. Lui : « Je suis content que Sarko soit passé. A condition qu’il tienne ses promesses. » Puis d’ajouter : « J’ai des collègues qui sont racistes et qui votent Le Pen, cela ne m’empêche pas de les inviter à la maison. » Elle : « Moi, je n’aime pas. Je suis d’accord pour nettoyer les banlieues au Kärcher. Mais je n’oublie tout de même pas que je suis arabe. »
Déjà, les passagers s’installent pour la nuit. Ceux de la salle « Pullman » étalent matelas et couvertures au sol, entre les rangées de fauteuils et les couloirs avoisinants. Plus tard, lorsque tout le monde dort, un homme prend quelques photos de ces migrants serrés les uns contre les autres, à même le plancher, emmitouflés dans des tissus bariolés. Aussitôt un agent du bateau s’interpose, expliquant qu’il est interdit de photographier les passagers. « C’est n’importe quoi ! confie Hamid, un autre membre de l’équipage. La vérité, c’est que la Comanav [la compagnie qui affrète le bateau] joue sur l’image d’une société publique au service des MRE . Et elle ne veut pas qu’on sache de quelle façon elle traite ses compatriotes. »
Jeudi 5 juillet. La journée s’écoule paisiblement au rythme des repas. Un groupe d’adolescents venus des quatre coins de France a fait connaissance la veille, dans la salle « Kasbah », transformée en discothèque. « C’était trop nul, il n’y avait personne, soupire Nadia, 19 ans, mosellane de Behren-lès-Forbach. Mais, ce soir, je vous jure, ça va être blindé ! » Femme de ménage dans une usine en Allemagne, juste de l’autre côté de la frontière, elle déborde d’énergie. A la rentrée, elle veut reprendre des études, pour « quitter son boulot pourri ».
Née en France, Nadia parle aussi parfaitement l’arabe et le berbère. « Cette année, je voulais aller en Sicile avec des copains. Mais ma mère m’a dit : “Gem’hi balizteq, radyin al maghrib, ou baraka men sdah !” » Traduction de l’intéressée : « Va préparer tes valises, on part au Maroc. Et arrête tes conneries ! » Salima, 15 ans, née en Corse, pouffe de rire : « Les Français, tous les ans, ils fêtent Noël. Nous, tous les ans, on va au Maroc ! »
Farid, 18 ans, vient d’achever un bac pro à Port-Saint-Louis-du-Rhône. « Mon problème, c’est que mes parents ne m’ont jamais parlé arabe. Alors, quand je suis au Maroc en vacances, je galère. » « C’est même pire que ça », s’énerve Issam, 21 ans, élevé au Maroc jusqu’à l’âge de 14 ans par sa mère, puis venu rejoindre son père, grutier depuis
quarante-cinq ans en Isère : « Un été, je suis retourné dans le quartier où j’avais grandi. Un quartier très pauvre de Fès. Au détour d’une rue, un mec sort un couteau de cuisine et me demande de lui donner ma sacoche et mon tee-shirt. Je lui donne, puis je lui dis : “Dis-moi, Essrine, tu ne me reconnais pas ? C’est moi, Issam, on a joué au foot pendant dix ans, dans la rue d’à côté.” Soudain, ce vieux copain du quartier m’a reconnu, il a lâché son couteau et mes affaires, et il s’est mis à pleurer. »
Le pont arrière, sur lequel les jeunes sont installés, rassemble une bonne partie des passagers. Un bar modeste propose des thés à la menthe trop infusés et des bières bien fraîches (à 3 euros la bouteille). Sous un soleil accablant, une musique criarde s’échappe des haut-parleurs. Arrive alors le sujet incontournable : les relations entre filles et garçons. Nadia : « Je ne suis pas raciste, mais, franchement, moi, c’est les Arabes qui
m’attirent. Je suis déjà sortie avec un Français, mais c’est pas le même délire. Et puis un Français, il te comprend pas. Il demande toujours pourquoi il faut se cacher. » Leila, 16 ans, vit dans la cité phocéenne : « A Marseille, les Arabes, ils craignent. En plus, moi, ce que j’aime, ce sont les “emos” [garçons – ou filles – avec cheveux longs et piercings]. » Farid : « Moi, c’est Arabes ou Françaises. Mais plutôt Arabes. Avec la Française, au
départ, ça va être bien, mais après ça va me saouler. Alors qu’avec une Arabe c’est pas pareil. Et puis la Française, après une semaine, elle veut déjà te présenter à ses parents. Alors qu’avec l’Arabe y a pas le risque. » Salima : « J’ai eu pendant trois ans un copain corse. Je mangeais corse, je buvais corse, je parlais corse... Sauf le cochon ! Parce que je mange halal. » Personne, dans le groupe, ne mange de porc. Tous boivent de l’alcool, fument des cigarettes et font le ramadan. « Pourquoi je ne le ferais pas ? interroge Nadia. Ça fait partie de ma religion. Mes parents ne m’ont jamais obligée, mais on est dans l’ambiance, tout le monde le fait dans le quartier. » Quant à boire, c’est top secret ! « Si mes parents le savent, ils m’enlèvent direct du livret de famille ! »
A bord du « Marrakech Express », les Marocains rentrent au pays
Tous les ans, des centaines de milliers de familles d’immigrés marocains rentrent pour l’été « au pays ». Nombreuses sont celles qui empruntent, pour ce faire, la voie maritime via la ligne Sète-Tanger.
C’est l’occasion, pour ces dernières, d’employer les trente-six heures de la traversée à interroger leur mektoub (destin). Toujours bondés, les bateaux permettent de dessiner un paysage de l’immigration composé de touches d’une grande diversité, loin de toute image généralisante d’une prétendue « communauté maghrébine ».
Par Aurel et Pierre Daum
Les essieux grincent, les pots d’échappement raclent le sol, et de nombreuses galeries croulent sous un amas d’objets recouverts de bâches bleues ou vertes. Que cachent-elles ainsi ? « Des frigidaires, des vélos, des machines à laver, des échelles, des brouettes, plein
d’ustensiles achetés aux puces que les Français jettent dès qu’ils ne marchent plus, mais que nous, nous n’hésitons pas à réparer », s’amuse Samia, une jeune économiste d’Agadir, de retour d’un voyage de noces en France. « Pour nous, les Marocains du Maroc, poursuit son mari, c’est toujours prestigieux d’avoir un parent qui travaille en France.
Quand il arrive avec sa voiture chargée devant notre maison, au village, c’est la fierté vis-à-vis des voisins. »
Mercredi 4 juillet, jour de grands départs. Depuis l’aube, voitures et fourgonnettes se sont sagement alignées sur le vaste parking du port de Sète. Dotées de plaques d’immatriculation françaises, principalement, mais aussi belges, néerlandaises, italiennes ou allemandes, toutes sont lourdement chargées. A 18 h 45, la dernière fourgonnette a réussi à pénétrer dans le ventre du ferry, les épaisses cordes sont détachées des bittes d’amarrage, les hélices soulèvent une vase marron des profondeurs du petit port. Avec seulement trois quarts d’heure de retard, le Marrakech Express démarre enfin.
La traversée devrait durer trente-six heures : on part le soir, on passe une journée complète en mer, puis une seconde nuit. L’arrivée à Tanger a lieu le surlendemain, au matin. A bord, les horloges marquent 17 h 45. Une heure étrange (il est 16 h 45 à Tanger, 18 h 45 en France). Une heure de l’entre-deux, heure d’un espace incertain entre l’Europe et l’Afrique. Sur les ponts, les enfants courent, excités par la découverte du bateau et de ses multiples cachettes. Pour la traversée du 4 juillet, le Marrakech Express est absolument bondé. Dès la fin mars, il n’était plus possible de trouver une seule place pour cette date. Pas plus que pour les suivantes du mois de juillet. En août, c’est dans l’autre sens que les places deviennent introuvables.
A peine ses bagages posés dans sa cabine, Naïma est venue s’asseoir dans le « Médina », un des deux salons dont dispose le bateau. La mer est calme, une brise vient enfin rafraîchir l’air de cette chaude journée. D’un œil distrait, la jeune femme regarde une
émission du type « Nouvelle star » diffusée par la chaîne de télévision marocaine 2 M, captée par satellite. Les présentateurs y parlent indifféremment français et arabe. Tout comme les jeunes chanteurs, avec l’anglais en plus. « C’est bien qu’ils parlent aussi français, parce que je ne comprends quasiment pas l’arabe, confie cette Versaillaise de 32 ans, née en France de parents marocains. Comme tous les étés depuis trente-deux ans on rentre chez nous, avec ma famille. » Chez qui ? « Ben... chez nous, au Maroc. Chez moi, c’est les deux. Je suis 50-50. Française et Marocaine. Je suis bien adaptée en France, contrairement à ce qu’on peut entendre. En fait, je suis Berbère d’origine. Mais, pour moi, je suis Arabe. Quand on dit Arabe, ça regroupe tous les pays orientaux. »
Connaît-elle la différence entre Arabes et Berbères ? « Non, franchement, je ne me suis jamais posé la question. » Un homme s’approche, un chaleureux sourire glissé derrière des moustaches grises soigneusement taillées. C’est le père de Naïma. Originaire de
Beni Mellal, il est arrivé en France en 1966. Ouvrier dans des usines chimiques, puis de peinture, il travaille aujourd’hui à Dijon, dans la production de la moutarde Maille. Il explique à sa fille : « Les vrais habitants du Maroc sont les Berbères, répartis en trois
catégories : ceux du Sous, ceux du Rif et ceux de l’Atlas. Les Arabes sont venus après. » Les raisons de son émigration ? « En 1956, lorsque les Français ont quitté le Maroc, le pays était à zéro : pas de cadres, pas d’industrie, pas de routes... Chez moi, nous étions cinq enfants, et mes parents n’avaient pas les moyens. Notre père nous a dit : “la porte est ouverte.” Et, en France, le travail ne manquait pas... »
Naïma a voté François Bayrou au premier tour et Ségolène Royal au second. « Mais
je suis contente que Sarkozy soit président ! Par exemple, sur les récidivistes : qu’ils soient majeurs ou mineurs, ils écopent pareil.
C’est bien, ça ! » Son père n’a jamais fait de demande de naturalisation. « Je suis bien comme ça : je travaille, je paie mes impôts, je suis vice-président d’une association. Mais je ne vote pas. Par contre, j’ai poussé mes enfants à s’investir. J’ai même une fille conseillère municipale ! » Naïma, elle, est fonctionnaire de police. Un de ses frères est cadre chez Orange, un autre éducateur sportif, une sœur est infirmière... « On a tous eu une bonne éducation. Faut arrêter les amalgames : les drogués, les délinquants,
les voitures brûlées... Tout ça, c’est un problème de parents ! »
Son père n’est pas tout à fait d’accord : « Il y a aussi un problème du côté de la loi. J’ai un ami qui a tapé sur sa fille de 14 ans parce qu’elle avait volé 30 francs. Arrivé à la maison, il a dégrafé son ceinturon et lui a mis une bonne raclée. Et qu’a fait la justice ? Elle lui a flanqué dix-huit mois de prison ! Comment voulez-vous que les pères tiennent leurs enfants s’ils se font condamner quand ils les punissent ? »
Le soir tombe sur l’horizon. A 19 h 30 (heure du bateau), une voix féminine invite les passagers de la classe « confort » à se rendre dans la salle du restaurant. Les passagers sont divisés en deux catégories distinctes : ceux de la classe « confort » et ceux de la
classe « tourisme ». Les premiers logent dans des cabines avec hublot, pour deux ou quatre personnes, et vont dîner dans le restaurant, avec serveurs et nappes de coton. Les seconds dorment dans des cabines de quatre sans hublot, ou pire, dans la salle « Pullman », sur des fauteuils inclinés. Pour les repas, ils doivent se contenter de la cafétéria, avec ses plateaux légèrement graisseux. Quelle que soit la cabine, hommes et femmes sont toujours séparés, sauf si la famille a payé pour les quatre lits.
Stéphane, sa femme Chadia et leur fils Enzo ont été placés par le chef de salle à la table 27. Elle, grande Marocaine au visage timide malgré des cheveux blonds décolorés et un tee-shirt extrêmement échancré, mange très peu. Stéphane, jeune pompier de la Côte d’Azur, explique qu’ils viennent au Maroc tous les ans depuis les dix années qu’ils sont mariés. « C’est un véritable plaisir. » Il chuchote : « Vous savez, les Arabes du Maroc n’ont rien à voir avec les Arabes des banlieues. Ils sont respectueux. » On parle politique. Lui : « Je suis content que Sarko soit passé. A condition qu’il tienne ses promesses. » Puis d’ajouter : « J’ai des collègues qui sont racistes et qui votent Le Pen, cela ne m’empêche pas de les inviter à la maison. » Elle : « Moi, je n’aime pas. Je suis d’accord pour nettoyer les banlieues au Kärcher. Mais je n’oublie tout de même pas que je suis arabe. »
Déjà, les passagers s’installent pour la nuit. Ceux de la salle « Pullman » étalent matelas et couvertures au sol, entre les rangées de fauteuils et les couloirs avoisinants. Plus tard, lorsque tout le monde dort, un homme prend quelques photos de ces migrants serrés les uns contre les autres, à même le plancher, emmitouflés dans des tissus bariolés. Aussitôt un agent du bateau s’interpose, expliquant qu’il est interdit de photographier les passagers. « C’est n’importe quoi ! confie Hamid, un autre membre de l’équipage. La vérité, c’est que la Comanav [la compagnie qui affrète le bateau] joue sur l’image d’une société publique au service des MRE . Et elle ne veut pas qu’on sache de quelle façon elle traite ses compatriotes. »
Jeudi 5 juillet. La journée s’écoule paisiblement au rythme des repas. Un groupe d’adolescents venus des quatre coins de France a fait connaissance la veille, dans la salle « Kasbah », transformée en discothèque. « C’était trop nul, il n’y avait personne, soupire Nadia, 19 ans, mosellane de Behren-lès-Forbach. Mais, ce soir, je vous jure, ça va être blindé ! » Femme de ménage dans une usine en Allemagne, juste de l’autre côté de la frontière, elle déborde d’énergie. A la rentrée, elle veut reprendre des études, pour « quitter son boulot pourri ».
Née en France, Nadia parle aussi parfaitement l’arabe et le berbère. « Cette année, je voulais aller en Sicile avec des copains. Mais ma mère m’a dit : “Gem’hi balizteq, radyin al maghrib, ou baraka men sdah !” » Traduction de l’intéressée : « Va préparer tes valises, on part au Maroc. Et arrête tes conneries ! » Salima, 15 ans, née en Corse, pouffe de rire : « Les Français, tous les ans, ils fêtent Noël. Nous, tous les ans, on va au Maroc ! »
Farid, 18 ans, vient d’achever un bac pro à Port-Saint-Louis-du-Rhône. « Mon problème, c’est que mes parents ne m’ont jamais parlé arabe. Alors, quand je suis au Maroc en vacances, je galère. » « C’est même pire que ça », s’énerve Issam, 21 ans, élevé au Maroc jusqu’à l’âge de 14 ans par sa mère, puis venu rejoindre son père, grutier depuis
quarante-cinq ans en Isère : « Un été, je suis retourné dans le quartier où j’avais grandi. Un quartier très pauvre de Fès. Au détour d’une rue, un mec sort un couteau de cuisine et me demande de lui donner ma sacoche et mon tee-shirt. Je lui donne, puis je lui dis : “Dis-moi, Essrine, tu ne me reconnais pas ? C’est moi, Issam, on a joué au foot pendant dix ans, dans la rue d’à côté.” Soudain, ce vieux copain du quartier m’a reconnu, il a lâché son couteau et mes affaires, et il s’est mis à pleurer. »
Le pont arrière, sur lequel les jeunes sont installés, rassemble une bonne partie des passagers. Un bar modeste propose des thés à la menthe trop infusés et des bières bien fraîches (à 3 euros la bouteille). Sous un soleil accablant, une musique criarde s’échappe des haut-parleurs. Arrive alors le sujet incontournable : les relations entre filles et garçons. Nadia : « Je ne suis pas raciste, mais, franchement, moi, c’est les Arabes qui
m’attirent. Je suis déjà sortie avec un Français, mais c’est pas le même délire. Et puis un Français, il te comprend pas. Il demande toujours pourquoi il faut se cacher. » Leila, 16 ans, vit dans la cité phocéenne : « A Marseille, les Arabes, ils craignent. En plus, moi, ce que j’aime, ce sont les “emos” [garçons – ou filles – avec cheveux longs et piercings]. » Farid : « Moi, c’est Arabes ou Françaises. Mais plutôt Arabes. Avec la Française, au
départ, ça va être bien, mais après ça va me saouler. Alors qu’avec une Arabe c’est pas pareil. Et puis la Française, après une semaine, elle veut déjà te présenter à ses parents. Alors qu’avec l’Arabe y a pas le risque. » Salima : « J’ai eu pendant trois ans un copain corse. Je mangeais corse, je buvais corse, je parlais corse... Sauf le cochon ! Parce que je mange halal. » Personne, dans le groupe, ne mange de porc. Tous boivent de l’alcool, fument des cigarettes et font le ramadan. « Pourquoi je ne le ferais pas ? interroge Nadia. Ça fait partie de ma religion. Mes parents ne m’ont jamais obligée, mais on est dans l’ambiance, tout le monde le fait dans le quartier. » Quant à boire, c’est top secret ! « Si mes parents le savent, ils m’enlèvent direct du livret de famille ! »
Merce-
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Date d'inscription : 29/03/2008
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